
I\ Baudelaire: usage médical
Sa consommation de l’opium sera plus longue. Il en fait un usage thérapeutique pour combattre les symptômes de la syphilis, probablement contractée au contact de la prostituée Sarah La Louchette.
L’accoutumance l’obligera à augmenter progressivement les doses. Il y trouvera alors une source d’inspiration dont il décrira les effets aussi bien bénéfiques que néfastes. Néanmoins, il est faux, tendancieux et exagéré de placer toute la vie de Baudelaire sous le signe de la drogue, comme il sera démontré par la suite.
« Les hallucinations commencent. Les objets extérieurs prennent des apparences monstrueuses. Ils se révèlent à vous sous des formes inconnues jusque-là. Puis ils se déforment, se transforment, et enfin ils entrent dans votre être, ou bien vous entrez en eux. Les équivoques les plus singulières, les transpositions d’idées les plus inexplicables ont lieu. Les sons ont une couleur, les couleurs ont une musique… Vous êtes assis et vous fumez ; vous croyez être assis dans votre pipe, et c’est vous que votre pipe fume ; c’est vous qui vous exhalez sous la forme de nuages bleuâtres. Je veux prouver que les chercheurs de paradis font leur enfer, le préparent, le creusent avec un succès dont la prévision les épouvanterait peut-être »
Charles Baudelaire, Les Paradis artificiels (1860)
II\ Les fleurs du mal/Les Paradis artificiels
"L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,
Allonge l'illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'âme au delà de sa capacité.
La roule défaillante aux rives de la mort !"
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1867) Le Poison
Dans sa préface des Fleurs du mal, Gautier précise que Baudelaire ne « vint que rarement et en simple observateur » au séances du Club, l’opium lui ayant servi en priorité de médicament pour combattre les effets douloureux de la syphilis. Son premier ouvrage fut condamné en 1857, et cette condamnation couplée à la syphilis dont il est atteint le détruira et lui permettra de trouver refuge en l’opium.
Rêves, hallucinations, fantasmagories, tout ce qui permet à l'esprit de s'échapper du monde purement matériel considéré comme une prison est accueilli avec gratitude: “De même, l'oiseau qui plane au fond de l'azur représente d'abord l'immortelle envie de planer au-dessus des choses humaines; mais déjà vous êtes l'oiseau lui-même. Je vous suppose assis et fumant(...)” . Ainsi, ces Paradis Artificiels, génèrent leurs propres envoûtements: “L'idée d'une évaporation, lente, successive, éternelle, s'emparera de votre esprit, et vous appliquerez bientôt cette idée à vos propres pensées, à votre matière pensante”.
Peut-ce être considéré comme une apologie des substances psychotropes ? Non, mais plutôt matière pour le poète à inventer des univers multiples, et à capter ces états passagers où l'imagination exulte: “ Car les proportions du temps et de l'être sont complètement dérangées par la multitude et l'intensité des sensations et des idées. On dirait qu'on vit plusieurs vies d'homme en l'espace d'une heure. Il n'y a plus équation entre les organes et les jouissances”. En conclusion, bien qu’il soit dépendant de l’opium par rapport à la maladie dont il souffre, l’auteur entretient une véritable fascination pour la drogue. Il tente de profiter au maximum de ce que l’opium lui offre dans l’ouverture d’esprit et l’inspiration puisqu’il ne peut plus se détacher de cette substance.
III\ l'opium
L’opium fait partie de la catégorie des drogues opiacées, qui se lie à trois sortes de récepteurs nerveux: mu, delta et kappa. Les récepteurs mu interviennent dans grand nombre d'action sur l'organisme : l'analgésie, l'euphorie, la sédation (apaisement d'une douleur physique ou morale, d'un état anxieux) , le myosis (rétrécissement de la rétine), la dépression respiratoire(diminution du rythme et de l'amplitude de la respiration) et baisse de la physiologie digestive. Par exemple, lorsqu’elle se fixe sur les récepteurs mu, l’opium lève l'inhibition par GABA (messager chimique ayant pour fonction de diminuer l'activité nerveuse des neurones sur lequel il se fixe et le contrôle l'anxiété et la peur) de la libération de dopamine. Le taux de dopamine augmente provoquant ainsi la sensation de plaisir : c'est l'euphorie. Les récepteurs delta ont une action analgésique moins puissante et des effets secondaires moins importants que les récepteurs mu. Ils agissent sur la substance P qui intervient dans la perception de la douleur. Ils stoppent le message nerveux vers les récepteurs de la douleur. Les récepteurs kappa quant à eux ont une action sur : l'analgésie, la dysphorie (état se caractérisant par une instabilité de l'humeur accompagnée d'anxiété, parfois de malaise et même de réactions coléreuses ), la sédation, le myosis, et l'effet anorexigène (qui provoque l'anorexie).En cas de consommation il procure une sensation de soulagement, de plénitude et de protection, causant à l’organisme chaleur et lourdeur. L’opium provoque une disparition des sensations de faim, douleur et pulsions sexuelles. Cependant, l’organisme est sujet à vomissements, changements d’humeur, perte de sommeil, agitation et état de stupeur. Le signe le plus facilement observable est le rétrécissement des pupilles.
Les effets secondaires immédiats et à longs termes possibles sont: baisse de la tension, ralentissement du rythme cardiaque, détérioration mentale, vertiges, sueurs, démangeaisons, rétentions d’urine, constipations et spasmes abdominaux, ainsi que des irrégularités menstruelles pour les femmes.
Durant une période de sevrage, quelques heures après la dernière dose peuvent se manifester une profonde anxiété, des insomnies, et des sueurs abondantes, suivis par des spasmes musculaires, frissons, grelottements et tremblements qui durent habituellement sept à dix jours. Une période de 6 mois au moins sera nécessaire pour faire disparaître complètement les symptômes de sevrage qui, chez la femme enceinte, peuvent être une cause de mortinaissance. Les nouveau-nés peuvent présenter des symptômes de sevrage, attribuables à la dépendance de la mère.
Il entraîne une dépendance physique et psychique lorsqu’il est consommé régulièrement. L’addiction à l’opium est caractérisée par un phénomène de tolérance et nécessite une augmentation des doses (de 1 à 30 grammes d’opium) pour maintenir le même effet.

- Étudier Les Fleurs du Mal c’est forcément se référer aux pages dans lesquelles Baudelaire parle des différentes sortes de drogues: vin, haschich, opium. Il existe des parallélismes évidents entre certains poèmes des Fleurs du Mal et des textes en prose concernant la drogue ; Baudelaire analyse de la même manière les effets de la drogue et ceux de la poésie. Ainsi, il avait déjà évoqué l’opium dans plusieurs poèmes comme “Le Poison”. Il introduit la perte de notion du temps, de repères et de création de plaisir grâce à une gradation : « agrandit », (v.6) et un parallélisme de construction au vers 8 : « Approfondit le temps, creuse la volupté ». Baudelaire pense donc retrouver goût à la vie en compensant le plaisir qu’il avait perdu. La présence d’une oxymore au v.9 nous donne un aperçu de son état d’esprit: « Plaisirs noirs et mornes ». Son esprit se sent submergé par ces obscures satisfactions : « Remplit l’âme au-delà de sa capacité », (v.10). Cette hyperbole montre que l’opium a également un effet secondaire. Il n’arrive pas à chasser le spleen et au contraire le provoque. Il semble s’y accoutumer car il les qualifie de « plaisirs », (v.9).
Quelques années plus tard, il publie Les paradis Artificiels, un long poème en prose à lire comme une étude du haschisch et de l'opium: il y est décrit leur texture, leur odeur, la manière dont ils sont fumés et les effets qu'ils produisent: "un peu de confiture verte, gros comme une noix, singulièrement odorante...". Cependant c’est après avoir évoqué son passé au Club et son expérience du dawamesk et du haschich qu’il parle de l’opium en s’appuyant en grande partie sur le livre de Thomas de Quincey Confessions d’un mangeur d’opium. Dans cette seconde partie Baudelaire décrit des effets ressentis après consommations par exemple : « L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes, allonge l’illimité, approfondit le temps, creuse la volupté et de plaisirs noirs et mornes remplit l’âme au-delà de sa capacité. ». Nous observons aussi l’état d’esprit de Baudelaire qui se veut moraliste envers ses lecteurs : « Les chercheurs de paradis font leur enfer, le préparent, le creusent avec un succès dont la précision les épouvanterait peut-être »


L’opium est une substance issue du latex de pavot, originaire du Mésopotamie et cousin éloigné du coquelicot. Ses effets sédatifs sont connus depuis la plus lointaine Antiquité, et son utilisation médicale contre la douleur comme antalgique, a été développée au début du Moyen-âge dans la médecine arabe et perse. Il a ensuite été introduit en Asie il y a environ mille ans. Aujourd’hui, la poudre d’opium est utilisée dans les médicaments antalgiques, associé à du paracétamol et qui empêche la transmission de la douleur, en agissant directement sur le cerveau. Il peut être consommé par voie orale, (boules d’opium, depuis l’antiquité) ou dissous dans de l’alcool. Ingéré en boules, l’effet de l’opium est ressenti au bout de quelques heures, après absorption intestinale complète. Bu, il est absorbé rapidement, en même temps que l’alcool à travers la paroi gastrique, mais il est en partie dégradé par l’organisme avant d’agir. Fumé, l’opium agit au bout de quelques minutes et de manière plus puissante.
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Lien du schéma animé du mécanisme de l’héroïne

Schéma simplifié de la voie nerveuse de la douleur avec et sans morphine

C’est dès l’âge de 6 ans que le père de Charles Baudelaire décède. Sa mère se marie une seconde fois avec un militaire qui méprise la sensibilité de son beau-fils. Après des études secondaires à Lyon puis au lycée Louis le Grand, il mène une vie marginale et de bohème dans le Quartier latin. En 1844, sa famille s’indigne de ses conditions de vie, et il devient alors journaliste, critique d’art et critique littéraire. Il défend notamment Delacroix comme représentant du romantisme en peinture et Balzac lors des attaques contre sa perversité présumée.
Baudelaire découvre le haschich en 1843, à vingt-deux ans, avec son ami Louis Ménard, un camarade du lycée Louis-Le Grand et poète parnassien (Rêveries d’un païen mystique). C’est dans le grenier de l’appartement familial des Ménard, au cinquième étage d’un immeuble cossu de la place de la Sorbonne, que Charles goûte sa première cuillerée de confiture verte. Il en détaille la préparation en 1860 dans l’essai Les Paradis artificiels : « La plus usitée de ces confitures, le dawamesk, est un mélange d’extrait gras, de sucre et de divers aromates, tels que vanille, cannelle, pistaches, amandes, musc. ». Il participera ensuite aux réunions du Club des Haschischins avec Théophile Gautier jusqu’en
1849
Planche d’Auguste Poulet-Malassis
Couverture des Paradis Artificiels d'Henry Chapront